50 % du temps
Un lundi matin sur deux, je reviens vers chez moi le coeur dans les talons.
Un lundi matin sur deux, je vais porter mon fils à l’arrêt d’autobus et je lui dis Bonne semaine chez Papa! Je t’aime!
J’attends près de lui que le bus jaune s’immobilise, je salue la chauffeuse d’un sourire accompagné d’un mouvement de mitaine et je rebrousse chemin en respirant profondément. À tenter d’endiguer le torrent de larmes jammé en-dedans par un flot d’oxygène.
Un lundi matin sur deux, je prépare les collations dans un tout autre état d’esprit et je m’assure que son sac à dos est complet.
Parfois, un lundi matin sur deux, la sonnerie de mon cellulaire retentit m’avertissant de la réception d’un texto:
Bon matin! Est-ce que tu peux mettre le Thermos à Henri dans son sac ce matin? Merci :)
(Maintenant, le sac à dos est complet.)
Un lundi matin sur deux, je ramasse Lego® et p’tites autos, je transvide le contenu de son panier à linge dans la laveuse et je ferme doucement sa porte de chambre en baissant le thermostat.
Ça fait bientôt 7 ans que la garde partagée fait partie de notre quotidien. Au départ, la cadence de nos semaines étaient dictées par le 2-2-3 préconisée par les spécialistes de la petite enfance puisque la notion du temps est tout autre chez les jeunes enfants. Cette gymnastique de calendriers a duré un an et demi. Jusqu’à ce que la gardienne me prenne à part un matin pour me dire J’pense que Henri serait prêt pour des stretch’s plus longs…il est toujours dans son sac…Puis, honnêtement, j’pense qu’il est prêt.
C’tait pas faux. La doudou ainsi que le toutou veilleuse étaient, en effet, toujours su’l fly!
Ensuite, on a étiré la séquence pour adopter le très populaire 1 semaine sur 2.
Peut-être que lui était prêt, moi: non.
Le premier lundi soir où je constatais que ma prochaine semaine serait sans lui, je l’ai passé en petite boule sur le divan à pleurer.
Si j’avais pas été gelé tight gracieuseté de l’épidurale le jour de mon accouchement, j’suis pas mal certaine que j’aurais trouvé la douleur plus vive en cette veillée de septembre 2019 que le premier août 2016.
L’être humain s’habitue rapidement, étonne par sa résilience et continue malgré les épreuves, la douleur, les échecs à avancer.
Pas trop le choix, le couple ne se recollera pas.
Autant que je m’étais toujours fait la promesse de ne jamais rester dans une relation pour les enfants que je comprends mieux maintenant ceux qui le font. J’avais grandi entourée de modèles de couples dysfonctionnels et je m’étais jurée que jamais, ô grand jamais, je ne m’infligerai ça!
Même si mon fils me fait part de temps à autre de son insatisfaction quant à avoir deux maisons et me reproche d’être la responsable de cette situation (!), j’ose espérer qu’un jour il comprendra que ses parents ont tout de même réussi leur séparation.
(Puis qu’il n’y a pas à avoir de responsable, c’est juste la vie).
Un lundi matin sur deux, j’ai une boule dans le ventre quand je lui répète pour la 143e fois de se brosser les dents et de se dépêcher à mettre son manteau. À essayer fort de ne pas trop perdre patience parce que j’ai pas envie d’être en mode À boutte pendant nos derniers moments ensemble.
Tout comme la nature qui a horreur du vide, l’être humain abhorre cet état vertigineux de se retrouver seul avec lui-même et à le ressentir ce fameux vide (quand il est là). Donc, on se distrait comme on peut.
Force est de constater que je me suis distraite allègrement ces dernières années. Le travail a été l’épicentre de ma vie et je me suis éparpillée pour ne rien ressentir.
Des bouts de soi éparpillés ça et là au Pays de la productivité.
Pas trop le temps de s’ennuyer de ton enfant quand ton agenda déborde de réunions, de redditions de compte, de courriels et de gestion de crise (parce que dans le secteur syndical agricole, y’a toujours une crise à gérer!)
Entendons-nous, l’ennui finissait toujours par se pointer le bout du nez. Je n’arrête pas d’être mère une semaine sur deux. Disons juste que je me suis anesthésiée 50 % du temps.
Depuis ma démission, je marche plus lentement un lundi sur deux entre l’arrêt d’autobus et mon appartement puisque mon agenda est relativement vide depuis le mois de décembre.
Un lundi sur deux, je constate le silence en revenant chez moi. Mon fils occupe l’espace sonore soit en chantonnant dans le bain, en fredonnant un air connu en jouant par terre ou en courant ben énervé après Rosie, notre chat.
T’es chanceuse: t’as du temps pour toi!
Si j’avais monétisé chaque fois qu’on m’a passé le commentaire envieux que j’étais dont chanceuse d’avoir du temps pour moi en étant « mère à temps partiel », le REEE de Henri serait trèeeeees bien garni!
Je comprends la perception d’un Éden verdoyant que peuvent refléter la situation des parents séparés maiiiiiiiiis il y a un prix à payer pour ça également.
On me l’avait dit enceinte et lors des premiers mois post-accouchement: Profites-en! Ça passe vite!
Ce commentaire m’agaçait lors de ses premiers mois de vie parce que calîne que je trouvais mes journées longues à m’occuper d’un nouveau-né.
J’avais reçu en cadeau avant d’accoucher un ouvrage au titre qui ne met aucune pression à quelconque futur parent: Tout se joue avant l’âge de 6 ans.
Tout se joue avant l'âge de 6 ans est un livre du Dr Fitzhugh Dodson, publié en 1971, qui explique l'importance des premières années de la vie d'un enfant dans son développement émotionnel, intellectuel et social. L’auteur met l’accent sur le rôle crucial des parents et propose des méthodes éducatives pour favoriser l'épanouissement des jeunes enfants. Selon le spécialiste, les fondations de la personnalité et de l’intelligence se construisent avant 6 ans.
Si on essayait d’illustrer les grands jalons de mon anxiété sur une échelle du temps, je crois que la journée où j’ai reçu ce livre en fait partie.
Ok, fak j’ai 6 ans pour essayer de ne pas fucker mon enfant et de ne pas en faire un humain de marde?
Cool cool cool.
Divisé en deux avec le contexte de la garde partagée, c’est sûr que j’ai échoué.
(Je niaise, je sais que je n’ai pas échoué.
Ok, j’ai peut-être échoué puisque la semaine passée il m’a avoué qu’il admirait Elon Musk. Du recadrage cognitif était nécessaire. Peut-être que l’auteur du livre était atteint de dyscalculie en inversant 6 et 9. Donc, se pourrait-il que tout se joue avant l’âge de 9 ans? Rassurée par ce qui me semblait être une éventualité, je l’ai donc amené avec moi vandaliser la Tesla de son père.)
Un lundi sur deux, j’éprouve une fébrilité à aller le chercher au service de garde. À le retrouver. À nous retrouver.
Ça prend toujours un moment tampon d’adaptation pour qu’on se reconnecte et il se trompe en m’appelant Papa ou par le prénom de la conjointe de son père (disons que ça pince un p’tit peu un coeur les premières fois que ça survient, après on s’habitue).
Un lundi sur deux, j’ai tellement hâte de le serrer dans mes bras, d’enfouir ma tête dans son cou et de l’entendre chialer sur ce qu’on mange pour souper.
***
J’ai passé par une pas pire gamme d’émotions depuis les derniers mois à me sevrer du travail, du moins à ma construction identitaire autour de celui-ci parce que je n’avais pas accordé assez d’importance au rôle de maman.
Peut-être que tout se joue avant l’âge de 6 9 ans, mais il n’est jamais trop tard pour faire du ménage dans notre ordre des priorités.
Peut-être qu’au final, le grand apprentissage de mes derniers mois ça aura été celui-là: qu’il n’est pas trop tard pour remettre mon fils au premier plan.
D’être à 100 % lors de mon 50% de temps avec lui.
P. -S: J’ai jamais lu le livre Tout se joue avant 6 ans pis c’est pas mal dans les pires cadeaux à offrir à un nouveau parent. Ça pis un pyjama à snap.


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