Les chemins étaient affreux le 25 décembre 2022. Précipitations de neige abondantes sur fond de chemins verglacés accompagné de rafales de vent. Le cocktail parfait pour « prendre le clot » comme on dit.
On a tenté de me faire rebrousser chemin. On a même levé le ton pour me faire comprendre que je prenais une mauvaise décision.
Ben là Stéphanie, c’est pas mieux si te tues non plus!
Écoute m’man. J’ai manqué les deux derniers Noël avec la COVID. C'est pas vrai que je ne descendrai pas encore cette année. J’ai du fromage pour grand-père. Je descends point. Ne m’attendez pas pour dîner. Je te tiens au courant.
Après la légère altercation avec ma mère, j’ai passé un coup de fil à mon père pour le tenir au courant de ma détermination.
Je vais aller te rejoindre à Drummondville. Fais attention Fanny les chemins sont vraiment laids.
La 147 était périlleuse. La 10 était synonyme d’accalmie. Grand merci aux gars d’la voirie qui travaillaient fort cette journée-là.
Toutefois, arrivée à la hauteur de Wickham, je me suis raidie comme un 2x4 et j’ai empoigné fort mon volant à en perdre la circulation au-bout des doigts. La visibilité oscillait entre nulle à très nulle.
Le paternel tel un héros des temps modernes - à dos de son pickup- m’attendait dans le stationnement de Rose Drummond pour m’escorter le bout du chemin restant.
J’ai par moments manqué de freins, on voyait quasi-rien, bref une belle idée de sans-dessin.
Je suis arrivée. Légèrement en sueur et en état d’hypervigileance avancé, mais j’ai réussi à parcourir les 136 kilomètres qui me séparent de mon logis à celui de mes grands-parents maternels.
Allô Allô, j’ai cuisiné une tourtière pâté à la viande et des pets de soeur. Bon, ils sont légèrement durs, mais je pense que tu vas aimer ça grand-père. Ah oui, j’ai aussi du fromage pour toi.
Mon grand-père avait en très haute estime le père de mon fils et était un fan fini des fromages de ce dernier. D’ailleurs, il m’appelait lorsqu’il l’apercevait à La Semaine verte ou lisait une mention de son entreprise dans un article de la Terre de chez nous.
Oui grand-père j’y passerai le message que tu l’as vu!
Alors, même si le statut relationnel avait changé, la tradition, elle, était demeurée. À chaque fois que j’allais les voir, j’apportais Comtomme et Chemin Hatley (ceci, n’est pas un post sponsorisé)
Et, il insistait pour me rembourser.
Grand-père, je suis amplement capable de te payer du fromage!
Et à chaque fois, j’abdiquais puisqu’il considérait le tout comme un affront.
Il partait donc à la recherche de son chéquier - une relique en cuir gris - usé par les années et par les bills à payer.
Mon oncle Denis avait acheté une bouteille de mousseux. (La première en 34 Noël vécus). On ne boit pas beaucoup dans ma famille. (On boit de l’eau, de la liqueur ou du jus, mais de l’alcool; pas trop). Cet achat qui peut sembler banal aux yeux de plusieurs revêtait, à ce moment-là, une forte symbolique.
La bouteille a circulé à tour de rôle et on a tous levé notre verre semi-plein en-direction de mon grand-père.
Un long silence rempli de non-dits.
L’atmosphère était lourde parce qu’on le savait. On le savait qu’il le savait et il le savait qu’on le savait.
Le verbe savoir à son paroxysme.
La constatation que ce serait son dernier. Il avait abdiqué sur les traitements de chimio quelques semaines auparavant - son rendez-vous mensuel qui le gardait à flot.
En janvier 2021, on nous avait estimé une période de sursis de 18 mois lors de l’annonce du diagnostic de leucémie - des mois à chercher la source de ce qui le maintenait cloué au lit.
Il (on) en aura eu 24.
On a porté nos coupes à nos lèvres et on s’est forcés à avaler. La gorge bien nouée par l’émotion.
-Grand-père, veux-tu une tranche de chemin Hatley?
-T’es fine, je vais retourner me coucher.
Continuez votre lecture avec un essai gratuit de 7 jours
Abonnez-vous à Parenthèses pour continuer à lire ce post et obtenir 7 jours d'accès gratuit aux archives complètes des posts.